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Histoire du drapeau alsacien, des origines à nos jours....
 


Sommaire

Rouge et Blanc: couleurs des villes et de la noblesse alsacienne
La naissance du drapeau alsacien
L'officialisation

Le drapeau pendant la première guerre mondiale
L'entre-deux-guerres
Le drapeau alsacien depuis la Libération

 



Rouge et Blanc: couleurs des villes et de la noblesse alsacienne

L’héraldique – la science des blasons - naît au XIIème siècle, c’est-à-dire bien après les premiers drapeaux. Le système de codification qu’elle apporte correspond tout à fait aux besoins de la société médiévale, en particulier ceux des nobles. La multiplicité des arrangements de couleur et des motifs permet d’attribuer à chaque famille un blason qui lui est propre. Un système élaboré de codes permet de matérialiser alliances, ascendances et prétentions. Les blasons trouvent leur place sur tous les types de supports: sceaux, bâtiments, habits, taques de cheminées, vaisselle, etc. Mais le blason sert également à reconnaître les combattants dans le champ de bataille, car les armures dissimulent désormais les visages. Les règles de l’héraldique répondent d’ailleurs parfaitement à ce besoin de visibilité.
 

Blasons de quelques familles nobles d'Alsace
 
Lichtenberg Rappolstein (Ribeaupierre) Salm Dagsburg (Dabo)

 

Blasons de quelques villes importantes d'Alsace
 
Mulhouse Strasbourg Wissembourg Sélestat

Ce bref inventaire met clairement en évidence la très forte prédominance de l’association rouge et blanc dans les armoiries de villes et des familles nobles alsaciennes. L‘association des couleurs rouge et blanc semble être caractéristique des régions situées aux marches – c‘est-à-dire aux extrémités - de l’Empire ou bien de celles qui jouent un rôle central dans celui-ci.

Au Moyen-âge, le Saint-Empire-Romain-Germanique compte deux drapeaux: la bannière impériale (Reichspanier) qui représente un aigle bicéphale noir sur fond d’or et le « Blutfahne » qui est un drapeau rouge portant une croix blanche. Ce dernier drapeau représente le pouvoir de haute-justice, c‘est-à-dire le droit de vie et de mort. Ainsi, cette la forte récurrence des couleurs rouge et blanc serait la traduction symbolique du rôle prépondérant que jouait l’Alsace dans le Saint-Empire.

La naissance du drapeau alsacien

Au Moyen-âge, un drapeau est une pièce unique, richement ornementée, d’une valeur extrêmement symbolique. Avec le développement du tissage mécanique et en particulier l’apparition du concept de « nation », l’usage du drapeau se démocratise, puisque désormais chacun peut en posséder un. La période de la Révolution française en est un exemple flagrant : les drapeaux sont utilisés à profusion dans toutes les cérémonies. Il en sera de même durant la période napoléonienne. Le 19 juillet 1870, la France déclare la guerre à la Prusse. Mal préparée, la France est défaite par les troupes allemandes coalisées. L’Alsace et une partie de la Lorraine sont rattachées à l’Empire allemand, par le traité de Francfort (1871).

N’étant plus citoyens de la République française et ne se reconnaissant pas dans la structure politique de l’Empire allemand, les Alsaciens se découvrent… alsaciens. Ils prennent en particulier conscience de leur identité culturelle, linguistique et historique. Dans les années qui suivent l’annexion, les occasions de pavoiser ne manquent pas : anniversaire de l’Empereur, visites de monarques, défilés… Les nouvelles autorités se servent alors à profusion du drapeau impérial allemand noir-blanc-rouge. Mais la majorité des Alsaciens ne se reconnaissent pas dans ces couleurs, qu’ils associent aux ravages causés par la guerre de 1870-71. Le drapeau français, lui, renvoie à un passé nostalgique.

Une carte postale alsacienne, fin du XIXème siècle Le drapeau alsacien, tel qu'adopté par la population.
Alsacienne avec drapeau alsacien Drapeau de l'Alsace

A Strasbourg, la ville commence à arborer de nouveau ses couleurs ancestrales, le rouge et blanc. Mais à la différence du Moyen-âge, ce n’est pas le drapeau à la bande diagonale rouge qui est utilisé, mais un drapeau juxtaposant une bande rouge et une blanche. Progressivement le phénomène prend de l’ampleur, et les Alsaciens en visite dans leur capitale, rapportent les faits dans les villes et villages. Comme rouge et blanc sont également les couleurs de nombreuses villes alsaciennes, l’initiative strasbourgeoise rencontre alors un vif succès et en quelques années, c’est toute l’Alsace - hameaux, villes et villages - qui adopte le drapeau « Rot un Wiss ». Et c’est bien là, la force et l’originalité du «Rot un Wiss ». Alors que nombre de drapeaux nationaux ou régionaux ont fait l’objet d’études précises, de débats, de tractations ou de controverses avant d’être imposés « par le haut », l’apparition du « Rot un Wiss » est en fait un phénomène spontané, populaire et transcendant toutes les couches de la population. Il est adopté d’autant plus vite que ses couleurs rouge et blanc sont profondément enracinées dans l’histoire et la culture alsacienne. Adopté par le peuple, ce symbole devait encore être reconnu par le pouvoir…

L'officialisation

En 1911, l’Alsace-Lorraine reçoit son autonomie et une Constitution. De toute son histoire, c’est le régime le plus libéral obtenu par l’Alsace. Il règne alors en Alsace un enthousiasme extraordinaire. Tout ce qui a trait à la culture alsacienne, à la langue, aux particularismes connait un intérêt démultiplié.

Le 25 janvier 1912, au Parlement d’Alsace-Lorraine, Georges Wolf, représentant la fraction des libéraux-démocrates pose une motion pour l’établissement d’une loi dotant l’Alsace-Lorraine d’un drapeau officiel. Le lendemain, Charles Hauss, dépose une motion similaire, au nom des centristes. Le 21 mai 1912, la question du drapeau est fixée à l’ordre du jour. Eugène Muller, député centriste, présente le projet et conclut son intervention ainsi : «Notre drapeau doit être un symbole de ce développement pacifique et rappeler, jour après jour, au peuple alsacien-lorrain la nécessité d’oeuvrer sans cesse, toujours vers l’avant, pour que notre pays devienne ce que nous attendons et souhaitons tous ». Georges Wolf, représentant les libéraux-démocrates, lui emboîte le pas : « Ce souhait et ce besoin de posséder un unique drapeau pour l’Alsace-Lorraine est lié à notre nouvelle constitution, et, en conséquence, à la progression de notre conscience identitaire, de notre particularisme alsacien-lorrain, si souvent méconnu et injustement dénigré ».

Le parlement d'Alsace-Lorraine, reconverti depuis 1919 en théâtre
 

Wolf met ensuite le doigt sur un point sensible: il rappelle qu’en 1892 le Kaiser a promulgué un décret instituant un blason pour l’Alsace-Lorraine… « (…) et, alors que ce blason a été décrété par une décision unilatérale venue d’en haut, le drapeau doit naître d’en bas, d’un travail commun venant du peuple, pour le peuple, avec évidemment le consentement du législateur (…) ». C’est là toute la puissance de la démarche: ce drapeau doit tirer sa légitimité du peuple, et non d’un monarque. Ce jour là, tous les partis représentés au parlement d’Alsace-Lorraine, même les socialistes, sont unanimes pour demander un drapeau officiel pour l’Alsace.

La grande majorité se prononce pour le « Rot un Wiss » mais finalement, une commission est formée pour trancher la question. Elle est constituée de douze députés. Parmi les Alsaciens : Charles Hauss (Haguenau), Joseph Kübler (Neuf-Brisach), Dr. Eugène Müller (Thann), Emile Wetterlé (Ribeauvillé), Robert Schlumberger (Guebwiller), Jean Martin (Mulhouse-Campagne), Jacques Peirotes (Strasbourg) et Edouard Drumm (Mulhouse).

Le drapeau pendant la première guerre mondiale

Dix ans avant la guerre, l’usage du « Rot un Wiss » irrite certains fonctionnaires prussiens. Le 31 mars 1904, le Kreisdirektor de Haguenau (équivalent du sous-préfet) rédige un décret interdisant de fait l’utilisation du drapeau alsacien pendant les défilés de conscrits. Quelques jours plus tard, la nouvelle se répand et arrive à Strasbourg. Elle fait l’effet d’un coup de tonnerre et bien vite, la presse s’empare de l’affaire. La polémique enfle et les avis s’affrontent par journaux interposés. Pendant ce temps, dans les conscrits de Niederbronn bravent l’interdiction en brandissant le drapeau alsacien, tandis que dans toutes les autres communes, en signe de protestation contre l’interdiction, aucun drapeau n’est été sorti pendant les défilés. Alors que l’affaire prend un tour politique, des rapports adressés aux autorités montrent qu’en Basse-Alsace, l’usage du drapeau alsacien est particulièrement vivace dans les secteurs de Saverne, Haguenau et Wissembourg. Heureusement, les autorités se montrent intelligentes et, le décret annulé, la tension fini par retomber.
 

Le drapeau des conscrits de Bischheim (d'après l'original conservé au Musée Alsacien de Strasbourg)
 
Drapeau de conscrits alsaciens

Lorsqu’au début du mois d’août 1914 éclate la première guerre mondiale, le drapeau alsacien n’est donc pas reconnu par les autorités impériales, mais toutefois toléré. Les Alsaciens, eux, l’ont adopté depuis des décennies l’utilisent à toutes les occasions, comme il se doit. Bien vite, des hauts-gradés de l’armée prussienne mettent en doute la loyauté des Alsaciens et font régner une certaine dictature. En effet, lors des victoires allemandes, nombre de maisons se parent de drapeaux alsaciens et les autorités militaires voient là une provocation. En réponse à ces protestations, le Statthalter (représentant de l’Empereur en Alsace) décide de faire une mise au point. Il rappelle que le drapeau rouge et blanc est celui de l’Alsace et que les Alsaciens l’utilisent sans aucune arrière-pensée. Il met en garde contre une interdiction du drapeau qui, selon lui, occasionnerait sans aucun doute de sérieux troubles.

Au début de la guerre, les troupes françaises prennent position dans une partie de l’Alsace méridionale, en particulier près de Thann. Le général Joffre y prononce alors un discours célèbre, que les Alsaciens prennent alors au pied de la lettre : « La France vous apporte, avec les libertés, le respect de vos libertés à vous, des libertés alsaciennes, de vos traditions, de vos convictions, de vos moeurs ». La reconquête de ces secteurs fait l’objet d’abondants commentaires dans la presse française. Ainsi, Pierre Loti, dans le célèbre journal « L’Illustration » est frappé à la vue de « ces drapeaux français et de ces drapeaux d’Alsace blancs et rouges qui jaillissent spontanément comme par magie des fenêtres ouvertes ». En 1918, l’Alsace est affamée et lasse. La déroute de l’armée allemande précipite l’entrée des troupes françaises en Alsace. Dans les villages, les maisons se parent de drapeaux Rot un Wiss et de drapeaux tricolores, comme un symbole en écho aux promesses de Joffre.
 

Carte postale éditée après l'armistice de 1918
 
Drapeau alsacien et drapeau français


 

L'entre-deux-guerres

L’armistice du 11 novembre 1918 marque la fin des hostilités, tandis que le Traité de Versailles attribue l’Alsace-Lorraine à la France. Malheureusement, la fête est très vite gâchée. Oubliant la promesse de Joffre, l’Etat décide de mener une politique d’assimilation à marche forcée. Trois éléments, profondément enracinés dans la population sont particulièrement visés : la langue, la religion et le droit local. La France tente alors d’éradiquer l’alsacien, d’instaurer la laïcité et d’introduire le droit français. Ces menées se heurtent à une farouche résistance des Alsaciens.

En fait, dans les années 20, l’incompréhension entre la France et l’Alsace croit sensiblement. Entre Rhin et Vosges, les habitants se divisent en trois camps : ceux qui veulent la disparition de toutes les spécificités alsaciennes, ce qui veulent le rattachement à l’Allemagne et ceux demandent un maintien des spécificités alsaciennes dans le cadre français. Ce dernier mouvement est largement majoritaire. Il aboutit en 1925 à la création du manifeste du « Heimatbund » et à une union politique formée par les partis alsaciens centristes, les autonomistes et communistes. De grandes manifestations sont organisées, où les drapeaux alsaciens fleurissent.


Défilé d'Alsaciennes avec le "Rot un Wiss" en mai 1936

Durant les années folles, le drapeau « Rot un Wiss » retrouve un usage plus pacifique, même s’il reste très utilisé par les régionalistes et autonomistes. Comme eux, lors de leurs réunions, les catholiques alsaciens décorent la tribune de la salle du meeting avec des drapeaux rouges et blancs frappés de la croix de Lorraine jaune. Les années folles sont également celles du Front populaire, qui trouve un certain écho en Alsace. Lors des manifestations des syndicalistes, outre l’inévitable drapeau rouge, le « Rot un Wiss » trouve une place de choix dans les défilés.

Le drapeau alsacien depuis la Libération

Les années 1930 s’achèvent par une nouvelle guerre, aussi terrible que celle de 1914-18. En juin 1940, l’armée allemande déferle en Alsace et s’empare quasiment sans résistance de la région. Commence une nouvelle dictature militaire, pire que celle endurée durant la première guerre mondiale. C’est un véritable régime de terreur qui s’installe. Le drapeau alsacien n’échappe pas à la suspicion de l’occupant : considéré comme séditieux par les nazis, il est carrément interdit. Une décision que ni les Prussiens, ni les Français n’avaient osé prendre. En Novembre 1944, les libérateurs sont accueillis dans la liesse par la population qui leur offre des bouquets rouge et blanc. Malheureusement, comme en 1918, la fête est gâchée : les Alsaciens sont accusés en bloc d’avoir collaboré et on tient leur culture germanique comme responsable. Il en résulte un malaise, qui, à la différence de celui né après 1918, est totalement intériorisé.

Il en va alors de l’usage du drapeau alsacien comme de l’identité alsacienne : le refoulement est complet dans les premières années suivant la Libération. Durant le mois de mai 1968, comme dans le reste de la France, une révolte étudiante éclate dans les villes, en particulier Strasbourg. Elle s’accompagne d’un important mouvement social. Mais la vraie conséquence des évènements de mai 1968 en Alsace est le renouveau de l’identité alsacienne.

Survient alors un évènement inattendu, le symbole le plus fort de cette renaissance alsacienne : l’exploit réalisé par un jeune strasbourgeois, étudiant en pharmacie. Dans la nuit du samedi 22 au dimanche 23 juin 1968, à la veille des élections législatives, il entreprend, seul et de nuit, et par la façade, l’ascension de la flèche de la cathédrale de Strasbourg. Arrivé tout en haut, au sommet de la pointe, à 142 m au-dessus du sol, il déroule un grand drapeau alsacien. Le lendemain, quelques heures avant l’ouverture des bureaux de vote, la capitale alsacienne s’éveille avec les couleurs rouge et blanc flottant au sommet de la cathédrale…

1979, l'année où le Racing Club de Strasbourg est sacré Champion de France (Photo: Onze Mondial)


Depuis cet évènement, l’histoire du drapeau alsacien continue à épouser fidèlement l’évolution de l’identité alsacienne: chaque prise de conscience voit fleurir les « Rot un Wiss ». Citons par exemple, l’affaire de Mothern ou les manifestations du parti socialiste alsacien (1978). La venue en Alsace de Valery Giscard d’Estaing (1976) sera également l’occasion de pavoiser les châteaux du Frankenburg, Ortenberg, et d’Andlau avec d’énormes drapeaux alsaciens. Lorsqu’en 1979, le Racing Club de Strasbourg remporte le championnat de France de football, l’immense fierté des Alsaciens se retrouve également dans les drapeaux Rot un Wiss arborés lors des manifestations de joie qui ont suivi. On pourrait également citer les manifestations suscitées par des sujets de société importants comme le Bioscope, la construction de la centrale nucléaire de Fessenheim, les convois ferroviaires de déchets nucléaires, la ratification de la Charte des langues régionales ou minoritaires, etc. Pour être tout à fait complet, notons que dans les années 90, le Conseil Régional a choisi comme drapeau administratif « le blason alsacien », lui-même modifié en 2003, un drapeau sans âme ni histoire.

Le drapeau alsacien sur la mairie de Pfaffenhoffen (2007)